mardi 5 août 2014

Le paradoxe de la différence

Aujourd'hui, j'ai sourit en lisant un statut sur Facebook d'une maman qui semblait heureuse qu'un diagnostic soit enfin émis à son enfant. Même en lisant, on pouvait ressentir le bonheur derrière sa phrase. Et je retourne encore et encore la situation dans mon esprit, me voyant moi également en attente d'un diagnostic pour les miens. 

J'imagine facilement le regard de certaines personnes derrière leur écran d'ordinateur: «mais voyons, comment une mère peut espérer un diagnostic chez son enfant!»

Effectivement, comment ce fait t-il que des gens, des mères, des pères espèrent tant un diagnostic? Le jour où nous sommes devenue mère -et même bien avant encore, quand nous rêvions du jour où un petit être viendrait ce nicher dans nos bras, les soirs où nous imaginions déjà a qui il ressemblerait, s'il aurait les yeux bleus ou bien les grands pieds de papa- notre premier souhait était celui-ci: je veux un enfant en santé.

Oui en santé, c'est parce que nous le savons que la santé, c'est ce qu'il y a de plus précieux. Notre petit trésor naît enfin, il a ses 10 doigts, ses 10 orteils. Il pleure, il a faim, il s'exprime. Il dort bien ou trop peu, il est vigoureux ou calme. C'est notre petit bébé parfait, et en santé, comme nous le souhaitions...

Mais il arrive que chez certains, et bien c'est plus compliqué. Il arrive qu'une mère ou un père se posent des questions, ne comprennent pas pourquoi bébé pleure autant, pourquoi il est si absent, pourquoi il ne parle pas, pourquoi il ne marche pas, pourquoi il préfère être seul, pourquoi il tombe si souvent. Ils aimeraient bien croire tout le monde quand on leur dit: «aaah ne t'inquiète pas, il va à sa vitesse» ou bien: «tu l'as trop dans tes bras, lui donner un peu d'autonomie ne lui ferait pas de mal» et encore «Tu verras, il va rentrer à la maternelle comme tout le monde à 5 ans» mais...

Mais ces parents continuent de s'inquiéter et se rendent à l'évidence: il se passe quelques choses. Et on aimerait bien se dire: mais non, il n'y a rien à s'inquiéter, les gens ont raison, chaque enfant a son propre rythme. Mais on le sait bien, les faits sont là; les évaluations se multiplient et les résultats prouvent qu'on avait bien raison de s'inquiéter, malheureusement. Et le ou les diagnostics arrivent. Les réponses sont là.

Mais malgré toutes ces évaluations pour certains enfants, les réponses ne viennent pas. Il y a se qu'on appelle les zones grises; ces fameuses zones où tous est trop complexes, atypiques, limites... Alors les évaluations se poursuivent, certains dirons que c'est de mieux en mieux, d'autres se lanceront la balle -et ils sont bons-, d'autres chercheront si la cause sous-adjacente ne serait pas la mère ou le père. D'un coup que l'enfant manque de stimulation? Et il y a les craques du système... aaahh ces fameuses craques...

Mais le parent, qui connait l'enfant plus que n'importe quelles spécialistes ici, le sait au fond de lui; il y a quelques choses qui ne va pas et personne ne pourra me dire que tout va bien. 

Et c'est là que la chasse aux diagnostics commence. Les gens autour commencent à réaliser que ces parents cherchent une raison, un mot, un nom à ce qu'a leur enfant. Et on les retrouve de plus en plus dans des piles de livres, dans le propre dossier de leur enfant, gracieuseté des archives de l'hôpital. On les voit trop curieux, trop dans les jambes des médecins. C'est là qu'ils donnent l'impression de chercher des bibites, de ne faire que des comparaisons. C'est là que ces gens réalisent qu'ils ont hâte aux prochaines évaluations, aux prochains tests, parce que d'un coup que quelqu'un voit ce que je vois, réalise ce que je vis. Paradoxale non? 


Paradoxe: Adj. m. du mot grec paradoxos «contraire à l'opinion commune». Idée ou proposition à première vue choquante ou surprenante, allant contre le sens commun. Proposition qui contient ou semble contenir une contradiction logique ou un raisonnement absurde. 

Et puis le diagnostic arrive enfin, ou la plupart du temps; les parents sont contents; heureux de savoir enfin ce qu'a leur enfant, heureux de pouvoir traverser enfin l'étape du diagnostic et de pouvoir -et de la bonne façon- aider leur enfant de leur mieux. Il peuvent enfin traverser les étapes d'un deuil, ce qui est impossible à faire complètement lorsqu'on est dans l'incompréhension, dans l'incertitude, dans l'ignorance. Ils peuvent ainsi dépasser enfin cette étape lourde et parfois beaucoup trop longue du processus diagnostic et recommencer à vivre plus normalement. 

Mais quel paradoxe que de vouloir un diagnostic pour son enfant dirions-nous? Mais quand les faits sont là, quand nos yeux ne peuvent plus se voiler, quand notre tête ne peut plus le nier... On ne peut plus espérer ce que tout ces autres parents espèrent: on espère alors un diagnostic, pour mettre un baume sur notre coeur, trouver réponse à ce que nous croyons injuste, parce que l'incertitude et cette étape de la chasse au diagnostic beaucoup trop longue deviennent peu à peu trop lourde sur les épaules et que de rester les bras croisés à attendre nous est impossible. Et ne croyez pas qu'on sautera de joie enfin le diagnostic donné, non du tout. Sur le coup on se dira: enfin... on pourrait sourire aussi, car l'interminable incertitude sera maintenant du passé. Et puis on pleurera sans aucun doute, comme tout parent devant cette même réalité. Parce que malgré tout, il y avait encore cette toute petite lueur d'espoir, probablement trop bien cachée, qui nous surprenait encore à nous faire croire et dire: mais peut-être que je me trompe...

Aujourd'hui, j'ai sourit en lisant un statut sur Facebook d'une maman qui semblait heureuse qu'un diagnostic soit enfin émis à son enfant. Même en lisant, on pouvait ressentir le bonheur derrière sa phrase. Et je pouvais aussi ressentir la satisfaction d'avoir enfin une réponse, le sentiment d'assouvissement de son travail acharné, le sentiment que l'attente interminable est enfin terminée. Que le deuil de l'enfant parfait peut enfin continuer...

Voilà le paradoxe de la différence, voilà mon paradoxe. Jetez-moi des pierres s'il y en a encore qui me trouve intense à chercher, lire, observer... alors je vous direz: mettez mes souliers et vous comprendrez.

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